Avant: Le trajet
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Hier comme aujourd’hui, les forêts ne constituent pas un air de grande transparence. Ils se dressent plutôt comme un mur de bois et de feuilles, de nos temps comme alors, autour de la zone où les colosses de roche et les nains de pierre gardent leur secret. La lisière de la forêt, densément constituée de troncs, sous-bois et feuilletage, forme une limite claire et nette.
L’observation ci-dessus pourrait conduire à l’explication que les constructeurs des célèbres agencements de dalles de pierre n’avaient aucun intérêt à entourer leur création de forêt. Car un tel encadrage vert composée de rangées d’arbres et de buissons sauvages, interminables et désordonnés, aurait trop conféré ce site de grande envergure à l’aspect d’un lieu encloitré, dont sont les tombes, qui représentent la mort et sa totale opacité, les témoins privilégiés.

Cependant, les allées de pierres qui traversent la plaine de Carnac et qui plongent un instant dans la svelte vallée du Kerloquet ressemblent aux colonnes d’arbres qui bordent aujourd’hui traditionnellement de nombreuses rues en France, que ce soit en aménagement esthétiques calqués sur l’architecture des jardins de magnifiques parcs royaux ludiques, ou en coupe-vent.

Les moqueurs peuvent une fois de plus affûter leurs couteaux, au moment où ils lisent ces lignes, et constater intelligemment : Carnac fonctionnait comme modèle pour les jardins de Versailles. Ou inversement : les jardins de Versailles, avec ses rangées d’arbres et ses jeux d’eau, ont servi d’exemple aux souverains de Carnac, qui gérèrent le sort des clans de Bretagne six mille ans avant les rois de France – j’en passe et ne perd plus de mots sur les railleurs encastré dans ce tract. Que leurs remarques soient dorénavant sagement ignorées.
Le chasseur se retrouve tout à coup devant un inconnu ou une inconnue.
Néanmoins, rien n’empêche que les jardins de Versailles soient quand même utilisés avec habileté et impartialité aux fins de ce traité. Les vastes lieux de plaisir et de loisirs du Roi Soleil contiennent un célèbre jardin en labyrinthe conçus à la perfection. Entre les arbres et les hauts buissons, le jeu de cache-cache, à la fois déroutant et amusant, peut se jouer à merveille. Ceux, qui y participent, à l’époque et de nos jours, se jettent avec beaucoup d’enthousiasme dans les rangées d’arbres et autres bois.
Le chasseur et le pourchasser, monsieur ou madame, fillette ou gamin, amant ou amante se retrouvent tout à coup, désorienté et inattendu près d’un carrefour, le bec dans ce jeu de “ chasseur sachant chasser sa chasse » sur le nez d’un inconnu ou d’inconnue – entouré de haies hautes comme une maison de deux étages, qui forment un cachait digne d’une chambre séparée.

Le visage inconnu déclenche aussitôt une grande inquiétude psychologique et un bref trouble, fondé sur la peur d’un amour perdu, un amour qui erre et se précipite ailleurs à travers les avenues, parmi ces rangées d’arbres étroitement serrés l’un contre l’autre qui n’offrent aucune vue d’ensemble. Un visage de grande beauté, un nouvel amour – ces anciens jardins égayants en labyrinthe ne font pas, qu’on se sent sentimentalement en sécurité.

Carnac est très différent. Carnac, telle que le site se présente aujourd’hui, correspond probablement dans ses grandes lignes à l’image que les tranchées de pierres ont depuis toujours, ça veut dire depuis six mille ans, et offre des vues extraordinaires.

Les lignes de Carnac ne sont pas destinées à semer la confusion, mais à transmettre de la clarté. Et pourtant, il est toujours possible de jouer à cache-cache entre les nombreux blocs de pierre. Les enfants détiennent le pouvoir de s’en donner à cœur joie dans le cadre de Versailles comme dans celui de Carnac. Les nombreuses pierres, grandes et petites, offrent d’excellentes possibilités de s’éclipser et aussi de chevaucher les obstacles. Les enfants n’ont pas peur d’approcher les pierres.
Les Alignements développent leur propre effet sur les garçons et les filles. Quel fut cet effet à l’époque des hommes de pierre ? Avec des grands yeux les mômes et les gosses un peu plus âgés auront observé ce que se dressait dans leurs alentours. Ils auront découvert dans le nouveau lieu moins une affaire mémorable, mais plutôt un nouveau terrain de jeu, accueillant et magnifique.

Les enfants abordent les merveilles de Carnac sous un angle complètement différent de celui des adultes ; ainsi que les adolescents qui, sentant dans leur propre corps une chaleur nouvelle, d’abord étrange, déchaînant des forces inconnues, se lassent, envahie par la puberté, entre les groupes de pierres ; pour les jeunes qui s’enflamment soudainement et qui s’intéressent, comme terrain inconnu, prit d’émotions au sexe des autres, le domaine des menhirs aura ouvert un lieu de différentes possibilités de passe-temps.
Chez les jeunes couples les mégalithes provoquaient les même troubles et sentiments.
Pour les jeunes couples, qui sont en train de se former, les méandres qui sillonnent les mégalithes provoquaient les même troubles et sentiments que bien plus tard les chemins sinueux des jardins de Versailles au près des ceux qui s’ébattaient.

Quiconque entre dans les Alignements, même aujourd’hui, se sent, pendant un instant, déstabilisé par l’aspect qui le surprend, non pas parce qu’il se croit dans un labyrinthe. Il est plutôt sur le moment désorienté car les cordons, qu’il voit, s’étirent sans fin en longues lignes droites. En même temps les pierres, qui se trouvent côte à côte, constituent des filiations transversales qui façonnent l’aspect parallèle d’une manière rectangulaire. Mais cette dynamique innocente est brisée par une autre. Le spectateur découvre un motif composé de différents aspects géométriques.
Non seulement les différentes tailles des anciennes structures incitent à regarder de plus près.
L’humain, sur ses deux pieds, debout, c’est-à-dire nous, passe doucement à travers les pierres imposantes, faisant bien attention de ne pas heurter une des parois gigantesques de sorte, qu’elle puisse lacérer la propre peau et de cette manière distraire l’attention pour le tableau de roches ; cet humain prend progressivement conscience des nouvelles lignes oblique, qui changent à chaque pas d’une nuance importante leur angle.
Non seulement les différentes tailles des anciennes structures, qui forment les entretoises droites de ce gigantesque site, incitent à regarder de plus près ce qui se développe sur cette pleine. Aussi les nombreux croisements que vous découvrez grâce aux différentes diagonales surprenantes, détournent vos propres pensées et font germer de nouvelles idées à la mesure que vous pénétrez ce champ garni d’une multitude de blocs pierreux. On s’étonne et on se demande : Quelle est la relation entre les connexions qui deviennent visibles ? Que représentent ces connexions ?

Ce qui devient visible de manière mathématique et métaphysique est une curieuse pluridimensionnalité. Les alignements représentent non seulement des lignes droites et transversales, mais aussi, en raison de la hauteur changeante des nombreuses pierres, un rétrécissement et une croissance des silhouettes appartenant aux différentes rangées. Ainsi, dans ce monument particulier de pierre se joignent la ligne horizontale et la ligne verticale, bien que la dernière ne s’élève pas trop de la topographie de l’endroit. Cet édifice ébahit, qui attire tant de gens au bord de l’océan, dont le rebord à la hauteur de Carnac est sans angles et coins, mais d’une douceur exquise. Cette image est clairement dessinée dans le vaste paysage par les menhirs.

Si l’on considère l’énorme accumulation de menhirs sous ce nouveau point de vue, il devient alors évident, que l’observateur attentif découvre un jeu de pensées à plusieurs niveaux, ou mieux : un jeu complexe de pensées prend naissance à cet endroit.
Les habitants de l’âge de pierre ne connaissaient pas les mécanismes pour polir les blocs de pierres.
Comme ce fut déjà souligné à plusieurs reprises dans ce tract : nous avons aujourd’hui à Carnac devant nous le produit fini. Nous demeurons étonnés et silencieux devant cette œuvre gigantesque. En même temps, nous avons le culot de comparer cet ouvrage à d’autres structures gigantesques telles que les pyramides égyptiennes, pour la mesurer à ces sites historiquement importants, qui n’ont pas été construits des décennies ou des siècles, mais des milliers d’années plus tard. Le développement de l’architecture et de la technique de construction en Égypte aux temps des pharaons était donc beaucoup plus avancé qu’à l’époque des constructions mégalithiques aux fins fonds de l’Europe naissante le long des côtes de l’Atlantique.
Les habitants de l’âge de pierre, qui peuplaient la région de Carnac de nos jours, ne connaissaient pas les mécanismes pour polir les blocs de pierres, qui ont servie à la bâtisse des temples le long du Nil.

Les habitants de Carnac de l’âge de pierre ont réalisé leur œuvre monumentale avec le peu de connaissances qu’ils disposaient en matière de construction, et probablement aussi avec des expériences, qu’ils acquéraient au fur et à mesure de leur travail en raison de tentatives ou d’exécutions ratées.
Carnac fut une étape importante dans le développement social et technique de l’humanité.
Que savons-nous aujourd’hui sur la façon dont Carnac a été construite ? Nous, les personnages du vingt-et-unième siècle, qui communiquent avec le smartphone et qui, après avoir conduit leur voiture dans un fossé, appellent une dépanneuse, pour sortir le propre engin de la fosse, ou qui par erreur atterrissent avec leur véhicule dans la bouillasse d’un chemin forestier bien trempé par une pluie recante, font aisément appel à l’aide routière pour qu’elle remette la bagnole sur le bon chemin, nous devons être très clairs à ce sujet : Les personnes qui créèrent Carnac étaient au début d’un développement révolutionnaire, dans lequel la pensée guidée est passée d’une réception visuelle et picturale à une interprétation intellectuelle du monde à explorer. Avec la construction de Carnac, l’humanité a posé rien de moins que la première pierre d’un développement consciemment réfléchi, qui a rendu possible le standard technologique d’aujourd’hui. Carnac fut une étape importante dans le développement social et technique de l’humanité.
Les planificateurs de Carnac ne pouvaient pas s’appuyer sur l’algèbre ou la géométrie dans leur travail. Il fallait d’abord établir et structurer ces sciences. Les concepteurs ingénieux de la stratégie réussie pour l’achèvement de ce grand monument en pierre d’une immense dimension ne pouvaient pas se retourner sur une tradition existante de bâtiments gigantesques. Les constructeurs des longues rangées en pierres, lourdes de centaines de kilos, furent obligé de trouver leur propre chemin à travers la plaine de Carnac.
Le plus impressionnant fut pour les indigènes armés d’une lance en bois, qu’ils n’en voyait même pas la fin.
L’érection des premières pierres eut probablement un effet très impressionnant sur les indigènes qui y vivaient. Et cela aura été encore plus impressionnant pour eux, lorsque d’innombrables autres suivirent les premiers menhirs ; leur nombre, devenu ingérable avec le temps, a finalement atteint une telle ampleur que tout ce qui avait été connu jusqu’alors fut éclipsé. Et le plus impressionnant, c’est que lorsque les indigènes armés d’une lance en bois et accompagné de leurs femmes vêtues de lin et leurs enfants hurlants, se tenaient devant le miracle achevé, celui-ci se présentait de telle envergure, qu’on n’en voyait même pas la fin.
Soulever, transporter et ériger les gros morceaux exigeaient beaucoup plus.
Les ouvriers, les administrateurs, les géomètres ont vu le champ de pierres grandir. A quel moment les hommes et les femmes eux-mêmes furent surpris par l’étendue inimaginable que leur bâtiment avait prise ; du complexe rocheux, riche en variations géométriques, qu’ils avaient construite eux-mêmes ?
À ce moment, quelque chose s’est produit dans la cervelle des créatures. Une étincelle qui a enflammé l’intellect. Ce que les habitants, voisin de l’océan Atlantique, ont construit à Locmariaquer représentait bien plus qu’un dolmen, un tumulus ou un crain. Le travail de dresser les pierres consistait avant tout à une tâche laborieuse et un effort assidu, basé sur la force des muscles. De nombreuses pierres de petites tailles furet ramassées et empilées pour certains œuvres. Soulever, transporter et ériger les gros morceaux exigeaient beaucoup plus : Le potentiel musculaire devait être bien coordonné.

Est-ce qu’une fierté croissante poussa les gens de l’époque à la vue des rangées de pierres déjà achevées, de les prolonger davantage ? Était-ce le désir d’élargir leurs propres horizons au-delà des premières phalanges de pierre en ajoutant plus de lignes, pour accroître l’expérience ? Pour voir plus loin que les premières rangées de pierres le permettaient ?
Il s’avère merveilleux pour la postérité que la créativité n’ait pas perdu la puissance créatrice et n’ait pas échoué dans l’énorme tâche qui était envisagée. L’érection de plus de deux mille menhirs a permis à un moment donné d’atteindre le but, que les créateurs de ce singulier monument avaient conçu et qu’ils s’avaient fixé.

Les architectes des rangées de Carnac furent sans doute eux-mêmes étonnés par le résultat impressionnant de leur audace de bonne foi ; comme un enfant qui décide en toute naïveté dans son bac à sable de construire un pont de sable et demeure tout à fait ému, les mains toujours pleines de sable, perplexe devant le résultat, constatent d’abord inconsciemment, mais de suite très vite avec grande étonnement, que c’est lui-même qui a donné forme à cette structure.

C’est probablement ce que la population de pêcheurs, de chasseurs, de vanniers, de bergers et de cueilleurs de baies ressenti, alors qu’on se mit les beaux jours et aussi en temps plus morose à traverser les lignes de pierres achevés. Ils interrompirent certainement souvent leurs pas, lorsqu’ils laissaient leur regard errer à travers les rangées de pierres.
Quand est-ce qu’ils décidèrent de réaliser et de mettre en place les diagonales, qu’ils découvrirent dans le champ de menhirs, dans la construction elle-même, donc de détourner légèrement ces lignes droites à un endroit précis de sorte que les artères de pierres quittent leur lancée stricte an avant, afin qu’elles s’orientent légèrement vers le nord ? Est-ce que les constructeurs de l’époque pensaient déjà en diagonale ?
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